Summary: | Tableau d'honneur de la Faculté des études supérieures et postdoctorales, 2011-2012 === Le travail d’assistance aux soins personnels des personnes âgées en hébergement collectif est socialement assimilé au « sale boulot », à la part ingrate du travail des soins infirmiers, mais aussi, plus généralement, à la part ingrate du travail domestique auquel la société tout entière semble répugner. Il est délégué à des femmes – aussi à quelques hommes – qui ont à se défendre de l’insupportable du dégoût et de la menace éthique qu’il représente pour le « travail de care » (Molinier, 2005). À l’intérieur d’un cadre théorique intégrant théorie morale des émotions (Ben Ze'ev, 1997; Miller, 1997; Nussbaum, 2001) et psychodynamique du travail (Dejours, 1980c), la thèse a examiné comment l’intelligence créatrice (Dejours, 1993b) de préposées aux bénéficiaires se saisit du conflit émotionnel et moral qui oppose le dégoût aux valeurs du travail de care et comment elle permet de se défendre contre le dégoût. Si l’intelligence des émotions met en discussion les éléments du conflit émotionnel et que le ressort de la plasticité des émotions réside dans nos actions, alors le travail occupe une place centrale pour réduire cette contradiction. Une grille d’analyse ad hoc a été conçue à partir du modèle des oppositions structurales du domaine du dégoût et de celui de l’analyse des conduites humaines en situation de travail. Cela a permis de comprendre comment les préposées aux bénéficiaires se gardent du dégoût, dans le sens où elles s’en défendent, grâce à un ingénieux travail sur la distance subjective. Ce travail les protège de l’abomination du dégoûtant et de son effet de contamination (Rozin, Millman, & Nemeroff, 1986), elles-mêmes, leurs collègues, mais avant tout, les résidents. Mais au-delà, si elles se protègent du dégoût, elles s’en gardent aussi, isolé sur un objet de dégoût résiduel, afin d’éprouver la vitalité du collectif de travail. En mettant sous le regard de l’autre la fraude à la distance prescrite par la norme de bientraitance, les préposées en appellent au partage collectif du risque encouru. Rendre visible l’ingéniosité du travail de care concourt socialement à ouvrir un espace pour que des femmes, celles qui contribuent à rendre le monde habitable en compensant la vulnérabilité qui y règne comme condition humaine, puissent faire entendre leur voix. Mots clés : émotions au travail, dégoût, « sale boulot », « travail de care », risque moral, conflit émotionnel, coopération, gérontologie. === Emotions and work of personal care of elderly, keeping disgust down, but not too much The work of caregivers assigned to the personal care of elderly residents in institutional facilities is often thought of as “dirty work, ” part of the unrewarding aspects of nursing care, but also, more generally, part of the unrewarding aspects of domestic work which the whole society seems to loathe. This work is delegated to women – and a few men – who must deal with unbearable feelings of disgust and the ethical threat that this represents for “care work” (Molinier, 2005). Using a theoretical framework integrating both moral theory of emotions (Ben Ze'ev, 1997; Miller, 1997; Nussbaum, 2001) and psychodynamics of work (Dejours, 1980c), this thesis examines how caregivers use their creative intelligence (Dejours, 1993b) to deal with the emotional and moral conflict between the disgust they feel and the core values of care work and to preserve themselves from the disgust. If the intelligence of emotions involves elements of emotional conflict and the plasticity of emotions falls within the competence of action, thus work plays a central role in reducing the contradiction inherent in this conflict. Based on structural oppositions of disgust and from human conducts in work situations models, an ad hoc analytical grid was developed to understand how caregivers keep their feelings of disgust away, protecting themselves by adopting an ingenious approach involving subjective distance. This work protects the workers, their coworkers but in the first instance, the elderly residents, from the loathing of disgust and from its contaminating power (Rozin, 1986). Above all, while protecting themselves from disgust, caregivers keep disgust still active, isolating pollution in an object of residual disgust, in order to test the vitality of the work collective. By working in full view of others and exposing how they break with the distance prescribed by the norm of respectfulness, the caregivers appeal to the collective sharing of the risk that breaking this norm implies. Highlighting the ingenuity of care work socially contributes to opening up a space such that the voice of these women, who are striving to build a world that is fit to live in, compensating for the human vulnerability, can be heard. Keywords: emotions at work, disgust, “dirty work”, “care work”, moral risk, emotional conflict, cooperation, gerontology.
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