Summary: | Cette étude porte sur les recrues de l’armée française à Djibouti, de la Grande Guerre à la fin des années 60. Le faible nombre de recrues comparé aux autres parties de l’empire africain a occulté leur participation aux conflits mondiaux. Pourtant à la différence des autres colonies françaises, les engagements ont tous été volontaires, beaucoup des engagés ne sont pas originaires de la colonie. En apparence il s’agit donc de mercenaires engagés pour des opérations extérieures, renforçant ainsi les représentations guerrières des populations de la région, en particulier des Somali, les plus nombreux à s’être engagés. L’étude repose sur les archives françaises, notamment sur les livrets individuels de plus de 1300 tirailleurs représentant le quart des recrutements des années les plus significatives. Cette approche statistique, complétée par une enquête de terrain, permet d’aborder ces recrutements sous l’angle social, et révèle des motivations bien éloignées des clichés encore répandus tant en Occident qu’au sein des populations de la Corne. Cette double approche, quantitative et micro-historique, révèle les motivations de ces jeunes hommes engagés dans les rangs d’une armée coloniale, les migrations régionales, leurs stratégies individuelles, en relation avec le contexte socio-économique de la Corne, marqué par les crises alimentaires, l’insécurité politique et le déclin progressif du pastoralisme. Instrumentalisés par une puissance coloniale comme bien d’autres Africains au cours des différents conflits auxquels ils participèrent, ces intérimaires de la guerre ne perdirent jamais de vue leur intérêt qu’ils tentèrent de concilier avec la domination coloniale. Leur passage dans l’armée française, souvent de courte durée, fut à bien des égards une expérience de vie, une forme d’entrée en modernité. Ce travail tente de mesurer cette altérité, notamment au travers de trajectoires individuelles et familiales. S’ils furent des intermédiaires culturels, la puissance colonisatrice tenta vainement de les instrumentaliser dans le contexte de la décolonisation. L’armée fut dans ce cas productrice de nouvelles notabilités, et tenta de fidéliser le groupe des anciens combattants. Mais là encore, les individus ont adopté des postures bien plus complexes qu’il n’y parait, leur fidélité n’allant pas au-delà de leur intérêt personnel. L’instrumentalisation du métier des armes s’est donc poursuivie dans la sphère privée, mais aussi dans l’espace politique naissant après 1945. === This study is about the recruits of the French army in Djibouti, from the First World war until the sixties. Because of their scarce numbers, compared with those from other parts of the African empire, their part in world conflicts is less known. Though, contrary to what went on in other French colonies, the enlistments were all voluntary and many of the enlisted were not from Djibouti. So, they seem to have been mercenaries hired for operations abroad thus strengthening their image as warriors in the eyes of the people in the area, especially the Somali who enlisted the most. The study is based on the French archives, particularly on the personal records of over 1300 “tirailleurs” representing a quarter of the enlistments during the most significant years. This statistical approach, completed with field work, allows us to study these enlistments from a social point of view and reveals motivations quite different from the clichés still widely spread in the western world as well as among the population of the Horn. This double point of view, quantitative and micro-historical, reveals the motivations of these young men enlisted in a colonial army, regional migration movements, their individual strategies in relation with the socio-economical context in the Horn marked by food crisis, political insecurity and the decline of pastoralism. Being used as instruments by a colonial power like many other Africans during the several conflicts in which they took part, these temporary warriors never forgot their own interests which they attempted to conciliate with the colonial domination. Their often short stay with the French army was for many reasons an experience, a sort of step into modernity. This study attempts to measure this otherness particularly through individual and familial paths. Even though they were cultural go-betweens, the colonizing power tried to use them in the context of decolonization. In that case, the army produced new notabilities and attempt to win the loyalty of its ex-servicemen. But then, again, the different individuals adopted postures far more complex than they seem to be, their faithfulness never overstepping their personal interest. The profession of arms was thus used at a private level, but also in the new political world after 1945.
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